Interviews


Le péril Vert - la Maison des journalistes
Interview de Kianoush, dessinateur de presse iranien exilé en France.

Dans un pays où censure et autocensure gangrènent les médias, où liberté d’expression rime avec peine capitale, le métier de dessinateur de presse est devenu une profession à haut risque pour quiconque ne se plie pas aux restrictions et à l’autoritarisme du gouvernement iranien.


Kianoush est de ceux la. Dessinateur de presse pour différents journaux et sites internet, il est aussi le représentant en Iran de Cartooning Rights Network Interbational , organisation qui agit pour la défense des dessinateurs de presse persécutés et emprisonnés.  En Iran sa situation devient de plus en plus difficile après la réélection d’Ahmadinejad en juin 2009 qui a engendré une répression sans précédent contre les opposants impliqués de près ou de loin dans le "mouvement Vert".
Aujourd’hui exilé en France Kianoush poursuit, à travers ses illustrations pour des sites et son engagement dans différentes association de défense des droits de l’homme : Cartooning for peace, Ensemble Contre la Peine de Mort (EPCM), son combat pour que l’Iran soit un pays libre et réellement démocratique.


Comment avez-vous commencé votre carrière de dessinateur ?

Après avoir exposé mes dessins dans ma ville natale (Rasht), les magazines de la région m’ont proposé de collaborer avec eux. Mes dessins ont donc ensuite été publiés, et ce depuis 1993. Cette même année je débutais ma carrière dans un magazine iranien de dessins, « Humor & Caricature », qui parait toujours. Mes idées et mes sujets étaient centrés sur « l’être humain », sans prendre en compte la nationalité ou les couleurs politiques. Mes thèmes principaux étaient la critique de la communauté, l’environnement ou les relations sociales... C’est la raison pour laquelle mes dessins ont pu être perçus comme ayant un ton politique. Mais maintenant je puise mon inspiration dans les droits de l’homme et les problèmes de mon peuple, ceux qui se battent contre la dictature et qui souhaitent retrouver leurs droits.
 

Dans quelle mesure le dessin de presse exerce t il une menace au sein du gouvernement iranien ?

Le gouvernement iranien a exercer une très forte censure en limitant l'information libre par un contrôle et une pression permanente. Nos dirigeants ont totalement conscience du  pouvoir du dessin de presse. Ils ont des spécialistes qui surveillent les dessinateurs. Le dessin est aisé à comprendre. Il peut avoir une empreinte profonde et envoyer un message très fort au peuple pour l’inciter à prendre du recul sur le gouvernement. C’est pourquoi, presque tous les dessins ont été supprimés des médias et les vrais dessinateur comme moi ne peuvent plus travailler pour les journaux et se retrouvent contraints à l’autocensure.
 

En tant que dessinateur de presse, quels changements avez-vous perçu depuis la réélection d’Ahmadinejad   dans l’exercice de votre métier ?
Ma première réaction fut d’arrêter de m’autocensurer. Je voyais mes jeunes compatriotes se faire tuer devant mes yeux en pleine rue, ces mêmes rues dans lesquelles nous marchions et sourions et dans lesquelles nous avons grandi. J’ai décidé de soutenir ce mouvement et d’éclairer le peuple sur son pouvoir face à la dictature. Mes nouveaux dessins politiques étaient alors nés et publiés dans les médias en ligne et les magazines étrangers en langue Farsi.
 



Quelles sont les principales difficultés qui vous ont poussé à fuir votre pays ? Dans quelles conditions êtes vous parti?

Après avoir publié mes premiers dessins dans ces médias, j’ai appris que le gouvernement commençait à arrêter tous les journalistes et activistes avec ou sans preuves. Ecrivains, photo-reporters et finalement dessinateurs !
Mes activités dans l’opposition ont réellement débuté en 2006,  après avoir participé en tant que représentant de « Cartoonists Rights Network International »  à  un colloque : «The International Hate Speech Conference » tenue par l’Université Centrale Européenne qui traitait de  la situation des dessinateurs éditoriaux et des risques qu’ils encouraient. Le but de cette conférence était d’essayer de trouver un soutien pour les dessinateurs qui se mettent en danger à cause de leur métier.
S’ils m’arrêtaient, ils allaient trouver énormément de charges à mon encontre y compris l’espionnage(!), et des actions contre la République Islamique en provoquant les protestants. Ces accusations sont les plus lourdes dans les tribunaux révolutionnaires. L’exécution est la peine normale pour ces crimes !
Je suis donc allé à l’ambassade française et leur ai demandé un simple visa de visiteur en m’efforçant d’être discret. Je n’ai informé personne de mes plans  et je n’ai même pas pu voir ma famille avant de partir (j’ai divorcé il y a trois ans et j’ai un fils de 10 ans qui vit avec sa mère à Téhéran). Je n’avais qu’une semaine pour organiser mon départ: mon appartement,
mes meubles, mes livres…C’est finalement avec toute ma vie condensée dans une seule valise que je me suis retrouvé sur la route en direction de l’aéroport à minuit. Une fois arrivé, j’avais plusieurs heures de vols et chaque moment était un moment de stress, de peine et de manque. Mais je suis finalement arrivé à Paris le 1er décembre 2009.
 



Avez-vous des contacts et des informations facilement en provenance d’Iran ?

Je suis resté en contact avec mes amis proches et des activistes du « mouvement vert ». Je suis les informations sur l’Iran chaque jour avec l’aide des réseaux sociaux et par messagerie. Mes dessins
sur le « mouvement vert » Iranien sont publiés régulièrement dans des journaux en ligne Perses, également sur ma page Facebook où les activistes iraniens peuvent les voir et ensuite les partager.


Quels espoirs/attentes avez-vous concernant la Révolution Verte ?
La Révolution Verte appartient à la jeune génération iranienne. Ils sont très différents de leurs parents. Ils sont courageux et éclairés. Ils connaissent le pouvoir de l’information et leurs droits fondamentaux. Ils veulent du changement et c’est pourquoi j’ai beaucoup d’espoir. Je pense que ce mouvement va se renforcer progressivement et pourra changer l’avenir du pays. Mais cela prendra du temps.



Comment vivez-vous votre exil? Pourquoi avoir choisi la France ? Vous sentez vous désormais en sécurité ?
Après plusieurs mois passé ici en tant que demandeur d’asile je peux définir deux sentiments en moi : Le premier est le manque de mon pays, de mon fils, ma famille, mes amis. Je suis triste et en colère contre les crimes perpétrés par le gouvernement iranien, les violences et la vie devenue difficilement supportable.
Mais le second sentiment est celui de l’espoir, de la liberté d’expression et de l’amitié. J’ai rencontré des amis français si sympathiques et adorables. RSF, la Maison des journalistes, et beaucoup d’amis français me soutiennent. La France est un rêve pour n’importe quel artiste visuel dans le monde, y compris moi, c’est un des pays où le dessin de presse est très développé et respecté.
Je me sens très honoré d’être un des membres du plus important groupe de dessinateurs au monde, «Cartooning for Peace ». Certains iraniens ayant vécu en France ont essayé de m’alerter sur les dangers et/ou les menaces à Paris. Mais je ne me soucie pas de ces mots. J’ai vécu le plus haut niveau de danger en Iran et je ne pense qu’aucune menace ne soit là pour moi. Mais je m’inquiète toujours pour mon fils et ma famille. Parfois je me dis que le gouvernement essaie peut-être de les prendre en otages pour m’arrêter et ces pensées me rendent très anxieux. Mais je me dois d’être fort et de continuer.
 

Quel regard portez-vous sur le dessin de presse en France ? Pensez vous qu’il joue le même rôle qu’en Iran ?

Je lis Charlie Hebdo ainsi que d’autres journaux. Ici, les dessinateurs sont totalement libres de dessiner ce qu’ils veulent. C’est la principale différence !
Mais de mon point de vue, les dessins français devraient avoir un sens plus profond que la simple première lecture. Quelques dessinateurs vont un peu plus loin dans leurs illustrations mais la
majorité d’entre eux essaient de faire sourire et/ou de taper sur un politicien ou une autre personne connue. Je pense que les dessins doivent surtout interpeller et provoquer les gens, les amener à penser et à envisager
un nouveau point de vue, et faire sourire et rire n’est pas suffisant.
Je suis impressionné par Bosc, Chaval, Sempe et Sere, et aujourd’hui je ne retrouve rien de comparable à leurs œuvres.



Quels sont vos projets ?

Mon principal projet est « the Iranian Green International Cartoon Exhibition ». J’ai commencé à y travailler un mois après mon arrivée en France. J’ai invité des dessinateurs venant du monde entier à dessiner pour le « mouvement vert » et à m’envoyer leurs dessins pour une grande exposition à Paris portant le même intitulé. Je peux récupérer plus de 200 réalisations des meilleurs dessinateurs issus de 20 pays différents. J’ai juste besoin d’un sponsor et d’un lieu pour débuter l’exposition.
 En tant que membre de « Cartooning for Peace », nous avons des expositions en France et d’en d’autres pays prévues sur notre calendrier.
 Je travaille également avec « ECPM », l’association française pour l’abolition de la peine de mort. Je vais débuter un projet dans des écoles en septembre afin d’informer élèves et enseignant sur la peine
de mort.
 J’ai aussi pour ambition d’écrire une autobiographie de mes 16 ans à aujourd’hui illustrés avec mes propres réalisations.
 Un autre projet qui n’a rien à voir avec les dessins, mais qui me tient particulièrement à cœur, est d’apprendre la langue française et d’en savoir plus sur la culture française.

Propos recueillis par Myriam Djebli